QUI JE SUIS

Ma photo
Rédactrice,designer web et graphique, animatrice radio, chroniqueuse culturelle, scénariste et metteure en scène en théâtre jeunesse. La culture sous toutes ses formes me passionne. Je partage mes découvertes culturelles dans le blog "De ma culture à la vôtre" et mes opinions sur divers sujets dans le blog "C'est pas des choses à dire".

samedi 20 octobre 2012

Les grandes lumières de ce monde

J’avais oublié comment c’était reposant de se promener à la campagne, à la nuit tombée. Ce trajet, je le fais à chaque soir, ou presque, entre un petit village et un autre, dans une campagne comme bien des campagnes, bien noires. La noirceur par moments crevée des phares d’une voiture, d’un tracteur au champ, d’une maisonnette accueillante. Noirceur éblouie, au hasard du chemin, par un joli village à l’horizon, son clocher éclairé par-dessous, le phare du routier. J’avais pris pour acquis cette vie nocturne paisible, le raton surpris en flagrant délit à traverser la route pour rejoindre sa petite famille, celui qu’on évite soigneusement. Alors qu’à Mégantic, autorités municipales et citoyens font bloc pour préserver le ciel et ses étoiles des innombrables lumières de rue qui polluent nos villes et nous empêchent d’admirer la splendeur de la voûte étoilée, d’autres lieux campagnards ont choisi de polluer la vue de leurs voisins immédiats, mais aussi ceux des municipalités voisines et de leurs habitants.

Quand on s’est mis à semer dans les champs de grandes éoliennes, tout le monde avait bien sûr compris que le paysage ne serait plus le même de jour. Comment peut-on ne pas voir ces grands oiseaux à une patte qu’on prend soin de peindre en vert à leur base pour les faire communier avec les cultures maraichères ? Ben oui, on n’y voit que du feu… Ça se marie si bien dans la nature. Oh, vous avez-vu ces cylindres verts au fond du champ ? Mais qu’est-ce que c’est ? Ah ben dis-donc…  une éolienne ! On ne l’avait pas remarquée à 30 km à la ronde tellement elle est bien camouflée ! Les petites ailes bleues, comme le ciel, ça aurait ajouté, il me semble. Mais c’est embêtant les jours de pluie…

Depuis le printemps dernier, je regarde donc ces grands trucs bousiller l’univers visuel de la Montérégie Ouest. Assemblées tranquillement, étage par étage, on s’est fait à l’idée que les éoliennes étaient là pour rester. Maintenant presque toutes assemblées et fonctionnelles, il n’y a pas une route de mon patelin qui ne soit épargnée de leur vue. Même les municipalités qui les ont refusées sur leur territoire ont une vue sur les grands oiseaux, sans les bénéfices, évidemment. Car si les redevances versées aux propriétaires terriens et aux municipalités pour héberger ces oiseaux amputés qui ne voyageront jamais hors de notre vue, sont bien intéressantes, les voisins n’en retirent rien d’autre que des panoramas dévalués. Pas facile à vendre, des propriétés avec vue sur les grandes bringues.

Donc, de jour, tout le monde l’a compris d’abord et constaté ensuite, on les verra d’un peu partout. Pas moyen de s’en défaire. Faudra regarder au ras des pâquerettes. Pas plus haut que les champs de maïs (pour le soya, on repassera, c’est trop bas pour cacher la vue). De nuit, on nous a parlé de la possibilité de faucher quelques chauve-souris au passage, mais si peu, parce que l’intelligente petite bête détecte les obstacles comme un sonar. Seules quelques créatures déréglées devraient y passer. Mais qui d’entre vous s’est vu avisé du cirque de lumières rouges à la nuit tombée ?

Je quitte donc à la nuit tombée, la semaine dernière, un paisible village, disons vers 20h, pour rentrer chez moi dans un autre village paisible. La route, habituellement paisible aussi et bien noire, offre un temps de répit visuel et permet de relaxer. Voilà cinq points rouges à l’horizon, qui clignotent à l’unisson. Curieux, mon compagnon de route et moi-même avons poursuivi les points mais un peu las, nous sommes rentrés à la maison avec quelques doutes sur l’identité de ces lumières. De nouvelles antennes cellulaires ? Des extra-terrestres en formation de vol ? Ah oui, c’est le temps des oies. Elles sont équipées comme ça, les oies ? Le lendemain soir, leur nombre avait doublé ! On s’est dit, ça y est, on est envahis !

Le week-end suivant, en observant la magnifique Covey Hill qui signifie la fin des Adirondacks, nous avons aperçu les éoliennes qui pointaient leur nez fier dans le vent. La Covey Hill en a pris pour son rhume. Elle a maintenant l’air d’un porc-épic. Je ne sais trop si ces éoliennes sont situées aux États-Unis ou au Québec, honnêtement, je m’en fous, mais je les ai dans la face quand je vais cueillir des pommes !

Jeudi soir dernier, c’est plus d’une trentaine de ces gros points rouges qui clignotaient au loin, toujours à l’unisson, direction sud-ouest. Nous les avons aperçus à la faveur de la courbe à la fourche des routes 138 et 203. On est au minimum à une trentaine de kilomètres du lieu de la plantation, mais peut-être est-ce plus loin (et c’est encore pire, alors). On a l’impression de se diriger vers un grand centre urbain alors que dans cette région, c’est l’heureuse campagne profonde.

Les éoliennes implantées dans le Roussillon seront bientôt toutes en fonction. Combien d’éoliennes dans cette seule région ? Chacune porte un petit nom bien à elle, un chiffre, en fait. Il y en a une qui s’appelle l’éolienne 45. On fait le décompte ? Qu’en sera-t-il du projet de parc d’éoliennes de Godmanchester[1]? Dans certaines municipalités, dont celle où j’habite, les conseils municipaux ont refusé le projet sur leur territoire (et on les en remercie). Ça ne m’empêche pas de voir trois lumières rouges au bout de ma rue quand je vais porter mes ordures au chemin. À 30 km… (ben non, pas mes ordures, les lumières !)

J’en profite, au lendemain de l’annonce du ministre de la culture M. Maka Kotto sur la nouvelle Loi sur le patrimoine culturel, pour dénoncer les implantations de parcs d’éoliennes qui sont venues gâcher irrémédiablement le patrimoine paysager de la Montérégie Ouest (le paysage est maintenant inclus dans cette Loi[2]). Le patrimoine paysager de cette région comporte des demeures ancestrales à l’architecture typique, des vergers, des cultures de petits fruits, des vignobles, des érablières, des terres en friche pleines de grosses roches, des murets de pierre le long des chemins, des pacages avec des moutons et des vaches dedans, des villages au charme inégalé. Il y a de vrais gens qui habitent ces lieux ! Il y a de vrais touristes qui s’y attardent pour son côté bucolique et son accueil chaleureux. La main humaine a façonné ce coin de pays. Nous pouvons donc l’appeler patrimoine paysager ! Et de ce fait, nous devons le protéger !

Dans notre coin de pays, c’est maintenant Noël tous les jours ! Ne perdez pas de temps à poser vos petites lumières dans vos sapins en fil de fer. Regardez plutôt les grandes lumières de ce monde dans le ciel de la Montérégie Ouest. C’est tellement plus grandiose que l’étoile de Noël ! Ça vous coûtera moins cher d’électricité, que les éoliennes s’empressent de gaspiller à mesure qu’elles la produisent pour ressembler au p’tit renne au nez rouge.



[2] Paysages culturels patrimoniaux. Un paysage culturel patrimonial est façonné à la fois par des facteurs naturels et par des activités humaines… Un paysage naturel ne peut être considéré comme un paysage culturel patrimonial pour sa seule beauté. L'humain doit y avoir laissé sa trace… La Loi sur le patrimoine culturel vise à favoriser la connaissance, la protection, la mise en valeur et la transmission du patrimoine culturel dans l'intérêt public… Plus particulièrement, la Loi prévoit la désignation de paysages culturels patrimoniaux. Ce geste contribue à leur mise en valeur et à leur préservation, en plus de comporter de nombreux avantages pour la communauté. Source : Culture et Communications Québec, http://www.mcc.gouv.qc.ca/index.php?id=5115

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire